mercredi 17 juin 2015

Qu'est-ce que le métal?

Voix enraillées, rythmes endiablés, guitares grinçantes, voici ce que la culture pop et la littérature spécialisée a retenu de l'expérience métal depuis qu'elle a daigné s'intéresser à cet ovni culturel. Toutefois, au-delà de la maitrise des centaines de taxons et du branding "méchant", existe-t-il une expérience métal? Est-elle singulière ou plurielle? L'objectif de ce billet n'est pas de définir l'essence du métal - tâche impossible, voire absurde, mais plutôt de fouiller - sans prétention aucune - dans les entrailles du "genre", à l'aide de Nietzsche, Adorno, Platon et Euripide afin de dévoiler ce qui s'y trouve de meilleur... et de pire.

1.L'actualité du genre

2. Le fan de métal aime-t-il vraiment le métal?
2.1Trois expériences : le phénomène pop, le jazz blanc, le barbare
2.2 Qu'est-ce que le métal? : taxonomie et expérience, apollinien et dionysiaque

Une autre typologie des oeuvres d'art : La naissance de la tragédie de F. Nietzsche

Friedrich Nietzsche dans La naissance de la tragédie identifie deux pulsions qui traverse le vivant : l'instinct apollinien, associé à l'ordre, à la mesure et par conséquent à l'expérience de la subjectivité ; l'instinct dionysiaque qui pousse le vivant vers l'ivresse, la démultiplication et la dispersion de la puissance.

Selon Nietzsche, toutes les activités humaines seraient teintées par ces deux forces. Chez les Grecs de l'Antiquité, elles auraient pris la forme de deux divinités, Apollon et Dionysos. Il est important ici de précisé aux lecteurs provenant de cultures monothéistes que les cultes des différentes divinités était loin d'être générique. À peu près tous les aspects du culte étaient singuliers, y compris la dimension sonore. Si la lyre était associée au culte du dieu de la lumière, c'est l'aulos - une flûte au son comparable à la cornemuse écossaise - qui était jouée par les bacchantes lors des orgies consacrée au dieu de l'ivresse.

[extrait de lyre : https://www.youtube.com/watch?v=6yhmYbuIEPM]
[extrait d'aulos : https://www.youtube.com/watch?v=PUoIjupTO50]

Période archaïque
L'hypothèse nietzschéenne - toutefois démentie par les plus récentes recherches archéologiques - est la suivante : l'instinct dionysiaque aurait été complètement étranger (lire refoulé) au Grec de la période archaïque (-800 av. J.-C. à -510 av. J.-C.). Le culte du dieu Dionysos aurait été importé d'Orient comme le mentionne la tragédie de Euripide Les bacchantes (nous y reviendrons). Grâce au "génie grec", une synthèse éphémère de ces deux instincts aurait été effectuée grâce à la tragédie, la dimension apollinienne étant représentée à travers le vers iambique (sorte d'alexandrin antique) et l'expérience dionysiaque de désubjectivation vécue grâce à l'identification à l'action par le choeur. D'après la typologie nietzschéenne, nous aurions ainsi trois formes artistiques : les oeuvres apollinienne, dionysiaque et mixtes. 

Période classique
Si l'on retient cette intuition, nous devrions donc retrouver - à travers toutes les époques et au sein de chaque civilisation - des oeuvres correspondant au moins aux deux premiers types. N'étant pas historien de l'art, je laisse cette question en suspend. Une chose est certaine, il semble possible d'identifier des pratiques artistiques contemporaines correspondant à ces instincts.

L'expérience métal

Bien qu'on puisse disserter à souhait sur les sources historiques du genre métal - le blues, le rock, la misère des faubourgs anglais... - il semble plus intéressant d'en faire la généalogie, de distinguer les évènements historiques contingents qui ont présidé à la naissance du genre métal, le style musical reconnu et reconnaissable, des racines profondes qui plongent dans la nuit des temps, dans l'angle mort de la psyché humaine et qui ont donné naissance à l'expérience métal.

Les débuts du métal

La première chanson métal? [https://www.youtube.com/watch?v=-vi1mHigGZE]

Posée en ces termes, les interminables et byzantins débats sur la "première oeuvre métal" (Led Zeppelin? Cream? Les Beatles? La Poune? Le pape?) n'a tout simplement aucun sens. Il me semble que l'apparition du métal comme expérience sonne le retour en occident d'une expérience dionysiaque pure qui était entièrement disparue du monde de la musique. En effet, depuis au moins le XIXe siècle, date à partir de laquelle le romantisme se réapproprie les formes folkloriques - voire bien avant -, l'expérience du dionysiaque ne semble exister que dans les marges du monde occidental.

[https://www.youtube.com/watch?v=W4olLEhcT2Y]
[https://www.youtube.com/watch?v=aemmvmGYukA]

L'oubli du dionysiaque...

Il est clair qu'assez rapidement dans son histoire, le christianisme a au mieux rejeté, au pire jeté l'anathème sur les expériences d'ivresse. En effet, la relation entre le dieu unique et le fidèle en étant personnelle, elle évacue la possibilité de dissolution du sujet caractéristique de l'état d'ivresse. Le seul reliquat étant l'extase mystique, c'est-à-dire la fusion directe avec la divinité toutefois tenue en suspicion de tout temps puisqu'elle fait fi de la hiérarchie ecclésiastique. Le christianisme ne viendra toutefois pas immédiatement à bout de ces expériences avec la christianisation de l'Europe comme en témoigne la persistance des carnavals - parmi ces célébrations, notons la fête des fous - qui persisteront jusqu'à l'âge classique (XVIIe siècle).

À partir du moment où l'occident a cherché à extraire toujours plus de puissance des sujets du pouvoir, il est alors aisé de comprendre pourquoi les autorités politiques ou religieuses ont chercher à combattre cette pulsion. Dans Les bacchantes de Euripide, le roi Penthée de Thèbes refuse de reconnaitre le culte du dieu Dionysos et persécute ses fidèles (essentiellement des femmes). Malgré ses efforts, le roi sera démembré par les fidèles possédées par le dieu. Bref, bien avant aujourd'hui, les pulsions dionysiaques provoquaient déjà un mélange d'effroi et de respect.

... et son retour

La thèse que je voudrais avancer est la suivante : le début de l'expérience métal marque le retour - dans le monde musical - de l'expérience dionysiaque au coeur du monde occidental.

3. Futurs de l'expérience métal