samedi 5 mai 2012

L’allégorie du CHSLD


Imaginons une société enfermée dans un immense CHSLD. À l’intérieur, tous les hommes vivent étendus sur des lits, branchés sur un soluté qui diffuse paisiblement une bonne dose de Prozac™. Ils sont indifférents les uns par rapport aux autres puisque leurs yeux sont constamment rivés sur un écran qui diffuse toute sorte d’images chatoyantes.

Entre deux doses, les médecins viennent réexpliquer leur diagnostic aux patients  avec force graphiques et les convaincre que tout ceci est pour leur bien. Le corps infirmier, lui, s’assure de l’application du traitement et surtout de convaincre avec de belles paroles les quelques individus récalcitrants. Ne se rappelant plus d'avoir vu autre chose que ce qu’on leur présente sur l’écran ou d'avoir entendu d’autre voix que celles des soignants, la réalité est pour ces individus telle qu’on la leur présente.

Or, que se passerait-il si, suite à une coupure dans les services ou à la négligence du personnel, un de ces drôles de spécimens venait à être débranché? Si,  par pur accident ou avec un peu d’aide, celui-ci se dirigeait vers la sortie? Comme il a toujours été drogué, il sera momentanément choqué par les impressions désagréables qui le submergent, mais sans doute pas autant que par l’inconfort lié à sa liberté de mouvement retrouvée. Tout de même, que se passerait-il s’il finissait contre toutes espérances par franchir le seuil? Imaginez-le regarder pour comme pour la première fois le monde tel qu’il est, sans pause publicitaire. Ne croyez-vous pas qu’il serait incapable de comprendre ce qui se passe, qu’il penserait que les choses qu’il voyait auparavant étaient plus vraies que celles qu’il voit à présent? 

Quand même, s’il était doté d’un courage exceptionnel et qu’il acceptait néanmoins de rester à l’extérieur, ses yeux et son âme finiraient bien un jour par y voir plus clair. Verra-t-il la Vérité? Sera-t-il en contact avec l’au-delà? Non, simplement avec la réalité. Toutefois, incapable d’avoir une vue d’ensemble (les CHSLD ne sont pas encore dotés d’écrans panoramiques), il commencerait sans doute par voir les quêteux sur le bord de la route, le premier en délirium trémens, le second en train de jouer le second mouvement du Printemps de Vivaldi; il verrait un voisin jeter ses déchets dans la ruelle et peut-être un autre planter des fleurs à côté de la bande de trottoirs. Ensuite, sa vision s’élargissant, il serait à même de percevoir un individu arborant un ruban tricolore «échanger» avec un homme à la mine patibulaire en complet rayé dans un restaurant au coin de la rue. Un peu plus loin, il verrait peut-être une masse compacte et bruyante qui dénonce les décisions prises par l’administration du gros CHSLD. Enfin, après plusieurs aller et venus, il serait à même de se rendre compte que dans toute cette partie du monde qu’on appelle l’Occident, d’immenses bâtisses aux noms divers (r)enferment des individus qui ignorent tout du monde extérieur, comme chez lui.

Ne croyez-vous pas alors que, se remémorant sa première habitation, et les âneries de là-bas, et ceux qui étaient alors ses compagnons de chambre, il se réjouirait du changement, tandis qu’eux, il les plaindrait? Cependant, ayant troqué sa jaquette d’hôpital contre des vêtements moins dégradants, mais surtout, ayant été depuis longtemps sevré et  depuis incapable de se rappeler les chimères qu’il voyait auparavant, ne croyez-vous pas qu’il serait raillé par ses anciens compagnons de manger-mou s'il tentait de les convaincre de sortir dehors? Ne croyez-vous pas qu’ils lui crieraient haut et fort qu’il est préférable de rester à l’intérieur plutôt que de quitter et de tomber malade? Peut-être même qu’ils appuieraient frénétiquement sur le piton pour appeler les garde-malades et leur demander de les libérer de cet importun.

C’est alors que celui-ci aurait à affronter les chiens dressés en secret par le personnel pour garder le contrôle du CHSLD. Et s’ils venaient à s’emparer de lui de quelque façon, ne le tueraient-ils pas?

Mais si vous retournez dix milles de ces malades contre les gardiens de la caverne, vous serez en mesure de chasser ceux qui administrent et dont la vénalité les a d'abord portés vers des biens privés pour ensuite s’emparer des affaires publiques. Dès lors, l’État sera administré en état de vigilance par vous et par nous, et non sous l’emprise du mensonge, comme à présent.